Critiques

RISKY BURLESQUE

1- Profiling (Thierry Boutonnier )

– TB est un artiste actif et réactif déployant un panel de comportements individuels en réaction au système capitaliste : la désignation, l’analyse, l’illustration, le jeu, le combat, le mimétisme, la démission, la dérision.
– un professionnel, envisageant l’acte artistique avec les même exigences d’information, de savoir-faire, d’identification d’objectifs, de
recherche opérationnelle, d’impératifs décisionnels et de concentration de moyens que n’importe quelle activité de project management.
– un non-spécialiste, qui, au sein d’une économie concurrentielle en constante mutation, se doit d’être polyvalent et pluridisciplinaire,
utilisant tous les moyens à sa disposition : performances, vidéo, sculptures, photographies, dessins, publications, etc.
– un homme de foi, qui représente, surjoue, exagère, doute, échoue… tout en continuant d’y croire.

2- Objectif principaux (quelques exemples réalisés)

– Expliquer les enjeux de la production laitière aux vaches ou la prévention de la grippe aviaire aux poules (série : Objectifs de production, 2005)
– Envelopper les bourgeons d’un arbre mort avec du chewing-gum (Le Printemps des Musées, 2001)
– Fabriquer et diffuser un distributeur automatique d’oeufs frais (Frech Egg Vending Machine, 2002-2004)
– Embaucher une hôtesse d’accueil pour tenir un panneau «Hors service»
– Développer une affaire de sponsoring funéraire (projet Mehrlicht, 2003-en cours)

3- Objectifs secondaires et système d’objectifs transversaux

– Travailler sur l’inframince ontologique entre pratique socio-économique et pratique artistique. Tester les contours de cette frontière,
mesurer la plus-value artistique de projets dans leur capacité à détourner les règles établies.
– Au-delà de donner forme à des idées (définition de l’art), éprouver la viabilité et la rentabilité économique de ces idées dans
une réalité de marché.
– Aborder, à l’occasion de ces démarches aux apparences gaguesques, quelques sujets universels: l’argent, la violence,
l’économie capitaliste, l’engagement, le politique, la générosité, l’aliénation, la mort.

4- Ressources mobilisées

– administratives: dépôt de brevets, études financières, formations professionnelles à la création d’entreprises
– marketing : logos, films promotionnels, slogans, objets dérivés
– technologiques : partenariats industriels pour la création de prototypes (avec Pepsi-Cola, par exemple)
– mobilières : design tertiaire (plantes vertes, bureautique, stands, moquette…)
– humaines : recrutement (hôtesse), compétences spécifiques par projets, spectateurs/clients pour répondre à ses offres de service

5- Stratégies & méthodes employées

– Mimétisme critique (TB expérimente en actes les différents maillons de la chaîne économique: concept, maquette, business plan,
financement, communication etc., mettant en lumière l’extraordinaire capacité de subordination de ces systèmes à tous les types
d’entreprises, même les plus aberrantes).
– Veille intellectuelle (parallèlement, TB mène des recherches iconographiques et documentaires pour dégager les connotations
sémantiques de ses axes de travail)
– Interventionnisme célébratif (TB met en scène ces liens symboliques – voir point précédent- via des pratiques participatives le plus
souvent basées sur une transaction marchande et non pas sur la gratuité, contrairement à une certaines esthétiques de la libéralité).
– Sabotage (TB pratique un art de la guérilla, créant des perturbations légères en un territoire indéterminé et quasi-invisible au coeur
même du système affronté. Son choix : ne pas détruire les choses mais les rendre inutilisables, irrécupérables).
– Mise en abyme (TB confronte le vivant à la réalité de son conditionnement létal par l’industrie: le chewing-gum à la chlorophylle et le
bourgeon, la vache et les quotas laitiers, l’homme actifet les pompes funèbres, etc.)
– Canular (On n’en est jamais très loin)

6- Bilan & Diagnostic

– On saura gré à TB, au sein de ce scabreux champ de l’action politique et économique de l’art, de ne pas jouer l’intelligence, ni le
cynisme, pas plus que l’élégance ou la bravoure. La plus grande efficience (qui reste faible) de cette confrontation avec une entité aussi
dominante que le capitalisme contemporain résidant certainement dans la simplicité du message, sa compréhension immédiate, sa force évocatrice, la détermination dans sa réalisation.
– Les formes de TB tendent finalement à dénoncer un capitalisme épousant les dimensions du rêve. Rêve utopique de la consommation,
évidemment, mais plus essentiellement, et plus subtilement, spectre onirique aux causalités bouleversées, aux responsabilités obscures
et aux conséquences incontrôlables.
– Voire, un cauchemar. A l’image du distributeur d’oeufs frais : le mécanisme implacable et bien huilé de l’échange marchand finit en
catastrophe. Brisures. Fracas.
– Prémonitoire, TB dévoile une trouble morbidité du capitalisme contemporain. La mélancolie manifeste de The Dream of Entrepreneurship (montrant l’artiste endormi sur son bureau), diagnostique une dépression économico-psychanalytique, chronique
mais refoulée.

Guillaume Désanges
Critique d’Art.
Professeur aux Beaux Arts de Clermont-Ferrand.